Gloria
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Gloria


 
AccueilRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
Le deal à ne pas rater :
Display Star Wars Unlimited Ombres de la Galaxie : où l’acheter ?
Voir le deal

 

 Extrait de la tentation de st-Antoine

Aller en bas 
AuteurMessage
Chris
Docteur du Cœur
Chris


Masculin
Nombre de messages : 157
Age : 33
Date d'inscription : 02/11/2006

Extrait de la tentation de st-Antoine Empty
MessageSujet: Extrait de la tentation de st-Antoine   Extrait de la tentation de st-Antoine Icon_minitimeLun 6 Nov - 8:36

Voici un extrait de ce fabuleux document trouvé ici --> http://perso.orange.fr/jb.guinot/pages/antoine8.html Je crois qu'il vous aidera à cerner les sept péchés capitaux. ^^

Les Péchés Capitaux sont restés dans leurs attitudes précédentes.
On entend un grand rire, le Diable paraît, terrible et hideux de fureur, tel que le moyen âge l'a rêvé. Un épais poil roux couvre son corps sec et nu, ses grands bras sont terminés par des griffes, à son dos s'agitent des ailes de chauve-souris ; sa tête, au front démesuré, garnie de cornes, s'allonge par le bas en façon de porc et de tigre ; son nez camus se dilate sur sa face, de ses yeux semblent sortir des flammes.
A son arrivée, l'Orgueil se redresse plus haut, l'Envie siffle plus fort, la Luxure se dandine sur ses reins, l'Avarice lève la tête, la Colère hurle, la Gourmandise fait claquer ses dents, la Paresse gémit.


Le Diable.

C'est moi !
Qu'avez-vous fait ? Vous êtes donc plus faibles que des vertus, et sottes comme idées ?
Ah ! Je vous enfermerai dans la Géhenne et je vous fouetterai avec les cupidités d'un autre monde, pour ranimer vos forces éteintes. A quoi me sert-il, vraiment, de vous nourrir toutes du plus profond de mon être, et travaillant comme un Dieu qui crée, d'arranger les hasards d'ici-bas, selon la fantaisie de vos exigences ?
L'âme humaine, à qui j'ai donné des bras plus nombreux que ceux des polypes des mers, a-t-elle donc, tout à coup, reployant sur elle les dilatations qui l'agrandissent, perdu l'amour de vos caresses avec cette éternelle inquiétude qui la pousse à les chercher ? N'y a-t-il plus sur les arbres de fruits rouges qui pendent, ni fleurs amollissantes au bord des prés, ni sourire au visage des femmes, ni provocations homicides sur le fer des glaives ?
Le Christ doit rire de l'enfer, songez-y donc ! Quoi ! Toutes ensemble... pour un seul homme... vous n'avez pu ! ... Ah ! Je suis las de vous, tenez, et je m'en débarrasserai à quelque jour ; car les fils d'Eve, je vous le jure, se donneront à moi, pour moi seul, pour le plaisir de m'avoir. Oui, plus tard, dans d'autres siècles, quand les lassitudes des générations vécues courberont au berceau les races ennuyées, quand elle se sera longuement repue de vin, de femmes et de sang, qu'elle aura vidé la lie, tari l'amour, fatigué sa fureur et bien senti sa misère, alors, comme un ivrogne qui se réveille, l'humanité pâlie détournera la tête et ne voudra plus rien ; elle voudra de moi, toujours ; seul avec l'Orgueil.



Les Péchés.

C'est l'Orgueil qui l'a sauvé, nous l'allions prendre, elle nous entrave.


Le Diable, avec majesté, de la main leur imposant silence.

Taisez-vous ! Assez !
C'est à vous qu'elle en arrache, non pas à moi, car toutes ces âmes dont vous parlez, qui se jettent dans l'orgueil pour vous fuir, elles vont en enfer, croyez-le, et je les place à ma gauche comme mon butin le plus précieux.



Les Péchés.

Mais sans cesse elle nous insulte...


Le Diable.

Tant pis pour vous ! Faites votre oeuvre, elle fait la sienne.


Les Péchés.

Sans elle nous serions plus puissantes.


Le Diable.

Sans elle je serais plus débile.


La Luxure.

Pourquoi, quand je circule dans les âmes, arrive-t-elle tout à coup avec ses résolutions vertueuses ?


L'Avarice.

C'est elle qui dépense l'argent que j'amasse, elle bâtit des églises.


La Gourmandise.

Elle me trouble à table, elle la surcharge d'un tas de choses inutiles : plats, vaisselle, ciselure de toute façon ; elle a institué le jeûne.


La Colère.

Sans cuirasse et tête nue, elle se promène dans les batailles, elle pardonne aux vaincus, elle a inventé la clémence.


La Paresse.

Toujours elle me tourmente, son pied me frappe dans mon sommeil.


L'Envie.

Et moi donc ! Quoiqu'elle me traîne derrière elle, m'ordonnant de lui piquer les talons pour la faire se tenir debout, elle me délaisse, elle me repousse, elle me bat, et je m'agite continuellement à courir dans son ombre.

Le Diable.

Entends-tu ce qu'elles disent, fille de mes entrailles ? Elles t'accusent, réponds !
L'Orgueil hausse les épaules.


Les Péchés.

Délivre-nous d'elle ! Comment pouvons-nous agir, si nous savons d'avance qu'elle doit rendre inutiles nos tentations ?


Le Diable.

Parle !


L'Orgueil.

Non !
Elle descend un degré de la chapelle et resserre son manteau sur ses épaules.


Le Diable, se tournant vers l'Orgueil.

L'indépendance de ton caprice afflige l'enfer. O Orgueil, tu t'anéantiras toi-même sous la pression de ton coeur ; parce que tu souffres d'une peine démesurée, ne va pas croire que tu sois un dieu.


L'Orgueil s'avance en souriant vers le diable.

Doutes-tu de moi, père du mal ? Connais-tu dans les sphères qui roulent, dans les mondes éteints, dans les créations de l'avenir, une attache plus étroite que celle qui joint nos deux natures ? Depuis le jour où, contemplant avec les anges la forme humaine encore inanimée, tu as du revers de ta main frappé sa creuse argile, en riant de mépris sur la sonorité du moule, n'est-ce pas moi qui ai consolé ton désespoir à toutes les minutes de l'éternité ? Te rappelles-tu les cris d'amour que tu poussais en m'étreignant sur ta poitrine ? Et quel délire de ma possession ravageait ton âme, quand tu tombas des cieux ? J'ai relevé ta tête, ô maudit, et ton souffle est monté jusqu'à Jéhovah, qui en a fermé sa porte d'épouvante, car ses chérubins tremblaient tous.
Soulève de leur base les pyramides, les arcs de triomphe et les tombeaux ; cherche dans les plaines fameuses les ossements blanchis que les loups ont semés sur la bruyère ; va-t'en dans les villes, assieds-toi à l'atrium, fais-toi lire par les démons de l'idée tous les mots écrits sur les papyrus et sur les marbres, relève les empires, évoque les morts, appelle les vivants : depuis l'enfant taciturne qui brûle sa tristesse à la lueur de son flambeau jusqu'au soldat qui secoue sur ses bras nus le sang de son épée, depuis le monarque qui domine les foules jusqu'au mendiant qui vagabonde dans la campagne, depuis la courtisane qui se vante de ses amants jusqu'à la matrone renfermée qui se refuse d'en avoir, partout et toujours, qu'y a-t-il donc si ce n'est moi ? Qu'est-ce qui pousse à la guerre ? Qu'est-ce qui taille les montagnes ? Qu'est-ce qui recule l'océan ? Qu'est-ce qui déchire la vie ? Qu'est-ce qui perd les âmes ? Moi ! Moi ! J'ai engendré les poètes, les conquérants, les prophètes ; j'ai fait les dieux.


Le Diable, se tenant les flancs avec ses poings à force de rire.

Ah ! Oui, c'est vrai comme je suis le Diable.


Les Péchés, criant.

Mais pour nous, qu'importe !


L'Orgueil.

Allons donc ! Furies de la chair ; vous ne l'auriez pas sans moi, cette chair que vous m'accusez de vous tarir !
T'ai-je jamais suppliée de me suivre, toi, Envie ? Pourquoi donc viens-tu sucer à ma mamelle le venin qui la gonfle ? Cela te ranime, avoue-le, te tordant, hurlant et m'appelant toujours pour te relever, quand tu trébuches dans tes entreprises.
Ah ! Colère ! Je gonfle ton coeur de mon haleine, tu rugis à ma voix, je fouette ta face d'un bouquet d'orties, et c'est moi qui fais sonner tes tambours.
Avarice la boudeuse ! Tu aimes à frotter tes yeux sur mes plafonds dorés, sur les diamants qui scintillent sur les étoffes d'or en miroitant.
Je possède, ô Paresse, les sécurités trompeuses, toujours gorgeant l'homme de la satisfaction de lui-même, je l'abrutis d'un hébétement paisible et je le pousse dans tes mollesses. Lui persuadant tout à coup qu'il est saint, qu'il est pur, j'interromps dans sa prière le prêtre agenouillé, et il s'endort le coude sur l'autel ; des mains du cénobite j'arrache la discipline, avec l'idée seule que la pénitence du coeur est suffisante, et joyeusement alors il abandonne les oeuvres ; j'écarte de la femme le souci des tentations et par mes larges dégoûts je la dresse à ces langueurs où s'énerveront les courages, à l'infernal désoeuvrement des oisivetés rêveuses.
Et toi, Gourmandise imbécile, ne sais-tu pas les illusions que je te donne et la hauteur où je t'ai placée ? J'ai envoyé pour toi des flottes sur la mer, pour te rapporter des vins dont on ne connaît que les noms ; j'ai relevé, par la cherté du prix, les choses à manger, si bien que ceux qui les voient maudissent la vie de ce qu'ils ne peuvent en prendre ; j'ordonne les festins, je nourris les parasites, je chauffe tes fourneaux, j'ai payé des orgies d'empereur où l'on dévorait des provinces. N'ai-je pas dressé tes pâtisseries merveilleuses, étagées l'une sur l'autre comme des maisons, et fait les coupes démesurées qu'on ne peut vider d'un seul trait ? A moi, les défis de mangeailles, les paris de boire dont on crève, et la cruauté du goinfre qui digère !



Les Péchés.

Arrête-la donc, Satan ! Si tu ne l'arrêtes, elle épuisera l'infini à parler d'elle.


L'Orgueil.

Mais toi, Luxure, tu devrais me chérir.
J'emplis la poitrine des grandes dames, et c'est là ce qui fait à leur sein, quand elles respirent, un royal mouvement si placide et si beau. J'ai la soie qui bruit, la semelle qui craque, le bijou qui sonne, la toilette éhontée, l'oeil ouvert et l'excitation qui donne l'insolence des attitudes. Comme un chat familier qui entre pas à pas, enfonçant dans les tapis ses griffes silencieuses, vers moi tu rampes inaperçue, quand le corps se contemple dans les miroirs, et que la forme à elle-même se sourit d'être si belle. Je suis l'audace, je te pousse aux aventures. A ces heures que ta victime, se débattant, pleure avec des sourires, sanglote, éclate et va tomber sur ton lit où se dénoue du coup sa chevelure et son amour, ne sens-tu point dans tes entrailles une joie superbe qui double ta joie, et comme un rire secret qui épice ton plaisir ? Par la conscience de ta force je soutiens ton ardeur, sans mes raffinements tu te lasserais vite ; tu me dois tes jouissances solitaires et tes plus extravagants délires, je t'ai procuré la frénésie des possessions exclusives, les rages jalouses, la férocité virile ; j'ai frotté de fard le visage blême de la débauche, j'ennoblis la crapule, je relève le vice, toutes les fanges du coeur se sèchent à mon foyer. Entends-tu sur la terre hennir d'orgueil les prostitutions triomphantes ?


Les Péchés.

Comme elle se vante ! Elle bavarde, elle délire ! Mais nous souffrons, nous autres ! O Père, allège notre douleur !


Le Diable.

Haïssez-la bien, jamais vous n'atteindrez à son mérite ; je m'ébahis chaque soir de la moisson qu'elle m'apporte, lorsque nous nous attablons face à face et qu'elle me raconte sa journée.


Les Péchés.

Nous sommes tristes, nous nous ennuyons de nous-mêmes, nous voudrions fuir hors de nous, nous déverser dans des courants plus nombreux, descendre plus avant, nous rassasier plus encore.
Revenir en haut Aller en bas
http://gloria.heavenforum.com
Chris
Docteur du Cœur
Chris


Masculin
Nombre de messages : 157
Age : 33
Date d'inscription : 02/11/2006

Extrait de la tentation de st-Antoine Empty
MessageSujet: Re: Extrait de la tentation de st-Antoine   Extrait de la tentation de st-Antoine Icon_minitimeLun 6 Nov - 8:36

L'Envie.

Non ! Elles sont heureuses, c'est moi qu'il faut plaindre. Dans le râtelier de la vie tu leur livres l'âme humaine, et elles sont à y mordre toutes comme des mulets mangent à même une botte de foin. à la porte, moi, et le ventre vide, je prête l'oreille au bruit de leurs mâchoires. Que ne puis-je jouir comme la Luxure, frapper comme la Colère, dormir comme la Paresse et rêver comme l'Avarice, puisque je suis belle comme l'Orgueil ! Qu'ont-elles donc fait pour tout avoir ? Ah ! Qu'elles périssent ! Que je reste seule, moi, si tu veux, je remplirai leur travail ! Je les hais, je les hais, je voudrais les haïr plus ; il me semble que je deviens douce, que je m'attendris trop, que je n'ai plus ma vieille exécration d'autrefois ; je me dépite, je me ronge, cela me fait plaisir et mal tout ensemble, le coeur me démange, mes ongles se sont usés à le gratter sans relâche ; fais qu'ils repoussent, aiguise-les, allonge-les.


La Gourmandise.

J'ai faim ! J'ai soif ! Mes boyaux crient, mes lèvres jutent, je voudrais boire en mangeant, manger en buvant, pour sentir à la fois sous mon palais la viande qui se mâche et le long de ma gorge le vin qui coule. Il me faudrait ensemble la digestion et l'appétit, car je me désole d'être repue et je suis continuellement dévorée par le besoin de me repaître. Me voilà gorgée jusqu'au larynx, la peau du ventre me crève, et pourtant j'ai faim ! Quoi de bon ? Invente, donne-moi des boissons épaisses à les trancher au couteau, donne-moi des chairs si subtiles qu'elles s'évaporent dans les plats. Quand j'aurais mangé le pain moisi, les épices qui brûlent, le miel qui empâte, l'huile, le beurre, les noix, les miettes et la poussière, la charogne, la guenille, le métal, tout, que mangerais-je après ?


L'Avarice.

Moi, si jamais j'étais riche, je serais heureuse. J'ai beau travailler, je reste pauvre. J'ai pourtant creusé la terre, raclé l'océan, tamisé les montagnes, égorgé les animaux, abattu les forêts et vendu tout ce qu'il y avait à vendre ; j'ai vendu l'amour et la gloire, le corps et l'âme, les pleurs et le rire, le baiser, l'idée ; je vendrai aussi mes cheveux, mes dents, mes yeux, pourvu qu'il me reste mes mains. Comme le laboureur qui pousse sa charrue pesant de tout son poids sur la terre qu'il déchire, je vais dans le coeur de l'homme, creusant mon sillon droit, je le tourne et le bouleverse, ce sont mes cupidités qui germent en silence, sous les crânes pensifs. Oh ! Quelles insomnies ! Quels rêves ! Je ne mange pas, je ne bois pas, je ne dors plus, je trafique, je dérobe, j'assassine, et si quelqu'un veut de mon sang, qu'il l'achète !
J'ai retiré du trou mon argent, je l'ai caché dans mon matelas ; comme j'avais peur, je l'ai mis dans ma poche ; comme ma poche n'était pas sûre, je l'ai placé dans mon linge, je le sens là qui me touche la peau ; je voudrais l'y coudre, le faire entrer dans ma chair, l'encoffrer dans mon coeur, être argent moi-même !
Multiple comme l'action, je voudrais vivre en tout pour rapporter de chaque chose quelque chose. Que n'ai-je des facultés aspiratoires, afin de pomper à moi la substance et d'extraire de l'absolu même une valeur numérique !
A quoi servent les étoiles ? J'ai envie d'arracher la lune quand je la vois briller toute ronde, et à quelque jour, j'espère bien, j'attraperai les rayons du soleil pour les fondre en pièces d'or.


La Colère.

Que la foudre tombe, que la terre s'ouvre, que le feu brûle ! Que je casse ! Que je broie ! Que je tue ! Je veux des monts incendiés à rouler sur les villes, des haches d'armes qui tranchent le granit, des masses de géant à écraser la terre. Tout se brise quand j'y touche, et je reste seule avec moi-même, rugissante dans ma violence. Il me faut, Satan, d'autres choses à frapper. élargis ma poitrine, enfle ma voix, frotte mes muscles avec un vinaigre distillé par la haine, car j'ai des défaillances inattendues et je tombe souvent en faiblesse au sourire de la Luxure ou aux séductions de l'Avarice ; bouche-moi les oreilles avec du plomb, brûle-moi le coeur avec du fer.
Mais non, injurie-moi, irrite-moi, frappe-moi, tu verras... et va-t'en, pour que je coure après toi les poings levés, et que je sente le coeur qui me bondisse sous les côtes. C'est là le moment que j'aime, quand je lève le bras pour frapper et que mon être tout entier passe dans ma force déployée et se lasse avec elle, comme une flèche qui part.
Que l'on m'irrite par le conseil, que l'on m'exaspère par l'injure ! Où est la proie, l'ennemi, l'obstacle ?
Il me semble que j'ai l'Océan dans ma poitrine, des fureurs s'entrechoquent, des tempêtes subites soulèvent l'écume au-dessus de moi-même, et je frémis comme la falaise au battement des marées.


La Paresse, bâillant.

Hah ! Hah ! Assez lassée pour jouir du repos, dormant à demi pour goûter le sommeil, sur un mol édredon, au souffle d'une brise, ne faisant rien... hah ! Hah ! Hah !

Elle s'endort. Les Péchés Capitaux la regardent dormir, la Luxure pousse des gémissements sourds.

La Luxure gémit.

Je voudrais jouir longtemps, éternellement plus fort, et, comme dans un gouffre qui n'en finirait pas, sentir que je descends toujours dans la volupté sans fond, qu'elle se creuse sous moi, qu'elle grandit, qu'elle m'enveloppe et m'y plonger, m'y noyer, m'y perdre. Encore ! Encore ! Plus loin ! Plus loin ! Plus avant ! Quand aurai-je ce que j'attends ? Quand saisirai-je donc ce que j'effleure ? Je ne sais où se trouve cette chose vague qu'il me semble poursuivre à travers la possession même, car le bonheur que j'ai n'est pas le bonheur que j'attends ; il doit y avoir une autre ivresse dans l'ivresse, et j'entrevois par les fissures du plaisir, comme par la fente d'une porte, des perspectives prolongées dont les rayonnements m'éblouissent, rayons d'un soleil vague dont la chaleur m'enflamme.
L'inquiétude me tourmente, la curiosité me ronge. Sur quoi verser ma flamme ? Comment l'éteindre, ou plutôt comment faire qu'elle s'étende ? J'ai envahi chaque membre du corps, je l'ai tourné à mon usage ; pas un cheveu des chevelures, pas un pli du ventre, pas un atome de la chair que je n'aie convoité, humé, baisé ; j'assemble dans ma concupiscence ce qui m'a plu, ce qui me plaira, le regret, l'espoir, le rêve et le souvenir. Comme la louve du Iupanar accroupie sous sa lanterne et qui fait signe aux passants, j'appelle à moi les laids et les beaux, les décrépits et les jeunes, les noirs et les blonds ; j'adore les vierges, les coeurs naïfs, la viande fraîche, mais je raffole aussi des maturités corrompues, des teints verts, des pâleurs malsaines, des fétides odeurs. J'aime le sang, j'aime les larmes, j'aime la gaieté, j'aime la tristesse ; il me faut des robes longues cachant les pieds, un jupon court qui montre le mollet, un torse nu pour voir tout à la fois.
Sur les têtes je darde mes yeux ; mon âme se fondant de désir va s'y verser entière, et coule dessus comme une pommade liquide ; j'organise ma joie, je me fais des peintures, je m'étale des poses ; mes mains d'elles-mêmes se ferment à vide, chatouillées comme par des contacts mous ; je m'écrase sous des pressions, je me frotte, je me vautre, je hume le poil en sueur, je sens le glissement des chairs, le délire qui monte ; puis au fond des prunelles, lorsque, tout agrandies, elles se tiennent fixes sur moi, entre le tissu de la peau quand j'en compte les grains, dans ma joie pleine, quand elle s'épanche si large qu'elle m'emplit la gorge et me colle aux gencives, pour assouvir mon besoin je fouille encore. Oh ! Si j'étais débordante comme les fleuves, odorante comme les fleurs, circulant comme l'air, j'inonderais, j'enivrerais, je pénétrerais ! ...
Si j'avais, pour palper, des mains sur tout mon corps ! Si j'avais, pour baiser, des lèvres au bout des doigts !

A ce moment l'Orgueil, restée immobile et dans sa fière posture, devant la chapelle, fait une grimace horrible et resserre son manteau sur sa poitrine. Le serpent qu'elle y tient caché dépasse la tête et la mord au menton ; elle pousse un cri auquel répond un rire du Diable, elle chancelle.

Les Péchés, se retournant vers elle.

Qu'as-tu ? Tu chancelles ? Tu pâlis ?


L'Orgueil.

Non !


L'Envie.

Oui ! Ce n'est rien, n'y prenez garde.


Les Péchés.

Tu vas tomber... on dirait que tu souffres.


L'Orgueil, se raffermissant.

Je n'ai rien, vous dis-je ! Laissez-moi ! ... non... que me manque-t-il ? Je suis saine, robuste, heureuse, forte, grande. Entre ses dents. Moi, me plaindre ! Me plaindre !


Le Diable, en souriant.

Doucement là ! Là ! Ne criez pas si fort ! Ce besoin qui vous opprime n'est que l'essence du mal enfermé en vos natures et qui essaie à monter toujours plus haut pour devenir plus grand. Ah ! Je me reconnais bien là ! Vous avez de mon sang, filles de ma souffrance !
Je suis le prince des cupidités du monde ; vous, vous êtes les cupidités du monde, qui l'attirez à moi, et me le placez dans les mains ; mais vos divergences me gênent, car au milieu de forces contraires l'âme tiraillée reste immobile sans tomber d'aucun côté. Travaillez toutes ensemble, aidez-vous plutôt, cachez-vous sous des formes subtiles, sous des apparences innocentes, sous des phrases adoucies, ou bien exécrez-vous davantage et dévorez-vous les unes les autres, si cela peut aiguiser votre appétit, peu m'importe !
En échange du souffle d'enfer qui vous anime, - car la force vient de moi, ne l'oubliez point, et vous seriez toutes faibles comme des vertus, vides comme des principes, sottes comme des idées s'il n'y avait en permanence, derrière vous, l'éternelle illusion que j'y ai mise, - en échange de cela, triomphatrices du monde et reines de la vie, je veux, vous m'entendez, l'âme - et tout entière.
Fût-elle, plus qu'une forteresse, garnie de fossés, de défenses, de bataillons, de retranchements, de triples murs, par ses créneaux alors vos flèches passeront, le long des remparts vous grimperez, dans ses souterrains vous vous glisserez, les pierres tomberont sous vos pas, les portes s'ouvriront sous vos doigts, au heurtement de vos épaules les murs crouleront, et, dans cette demeure qui semblait inaccessible et si farouche, vous sonnerez des tintamarres et vous ferez de grandes orgies.
Il me fut dit : tu mangeras de la terre ! Eh bien, dévorons l'inépuisable pâture, déchirons l'homme, croquons-le, mâchons-le.
Celui-là surtout, il me le faut, je le veux, j'en ai besoin, il me manque, il fera bonne figure là-bas avec les saints qu'on place au ciel, les martyrs dont on baise les os, les papes que l'on vénère. Comment donc ? Ils étaient bien saints pourtant ! C'est dommage, ils priaient, ils jeûnaient, ils se mortifiaient, ils entassaient les prières et les bonnes oeuvres ; mais ils renfermaient leur coeur dans une petite vertu toute tapissée, toute chaude, bien exclusive et bien béate, et ils en calfeutraient les issues de peur du vent ; mais un beau jour j'ai passé sous la porte, tout s'est envolé, un coup de vent m'a suffi. Car il s'est trouvé que le fidèle se délectait en son coeur à tous les vices dont il s'interdisait l'usage, que le martyr à son dernier râle avait plus songé aux femmes qui le regardaient qu'aux anges qui l'attendaient, et que le pape enfin, c'était moi, affublé de la tiare et me prélassant sur le Saint Siège. Ah ! Ah ! Ah ! Tout cela est fort drôle !
Et ils sont à cuire maintenant dans la fournaise, tous pêle-mêle avec les parricides, les bestialitaires et les athées. - Ah ! C'est vous ? - Oui, c'est moi. - Et lui aussi ! - Oh ! Que nous sommes nombreux ! - Ah ! Oui, beaucoup... - Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Attaquez donc l'ermite, faites-vous terribles quand il sera faible, rampantes quand il sera fort ; s'il vous repousse de front, battez-le de côté ; s'il se méfie, prenez-le par derrière, et revenez, ne vous lassez point. - Il n'en est plus aux combats de la jeunesse, songez-y, car depuis longtemps déjà il vit au désert et connaît l'esprit qui remplit la solitude ; mais, l'énervant de vos haleines, peu à peu faites éclore en sa pensée des imaginations nouvelles, et il aura un désespoir atroce, des déchirements de convoitise, des rages d'ennui. Qu'il passe des langueurs de la Paresse dans les convulsions de la Colère ! Qu'il tressaille affamé à des banquets splendides s'illuminant tout à coup ! Qu'il se traîne en rut sur les planches de sa cabane ! Qu'il se compare aux heureux et qu'il jalouse la terre entière ! Qu'il s'exalte dans sa pénitence et qu'il éclate d'orgueil ! Qu'il soit à vous ! Qu'il soit à moi ! Allez ! Convoquez les démons vos fils et vos petits-fils, appelez le rêve, le cauchemar, le désir, les fièvres de l'âme, les fantaisies délirantes, et les vastes amertumes !
Mais puisqu'à présent il se console avec les Vertus, laissons-le préparer lui-même le dégoût qu'il en aura, quand nous reviendrons ; car je serai là, entendez-vous, et je vous surveillerai d'importance. Venez un peu vous reposer sous mes ailes et serrez-vous contre moi.
Satan se recule au fond de la scène et déploie ses grandes ailes livides, qui s'étendent en rond comme deux éventails verts. A mesure qu'il parle, les Péchés se groupent autour de lui, chacun dans l'attitude ordonnée.
Allons, Paresse, que je me pose sur toi, tu es le coussin du Diable ; Luxure, sur mes genoux ; Envie, couche-toi là que je pose mes pieds sur ta poitrine ; Gourmandise et Avarice, ici, bien, à mes deux flancs ; Colère, tu feras du vent avec tes bras, pour me rafraîchir le visage ; toi, Orgueil, debout, derrière moi... plus près... attends que je détourne un peu la tête,... baise-moi, je t'aime !


Assis sur la Paresse et entouré des Péchés, le Diable se retourne pour embrasser l'Orgueil, qui, placée derrière lui, passe sa figure sur son épaule.
Revenir en haut Aller en bas
http://gloria.heavenforum.com
 
Extrait de la tentation de st-Antoine
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Gloria :: Hors Jeu :: L'histoire et les règles-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser